Nikola Benin
Une nuit du mois d'octobre couvrait d'épaisses ténèbres la célèbre ville de Madrid : déjà le peuple, retiré chez lui, laissait les rues libres aux amants qui voulaient chanter leurs peines ou leurs plaisirs sous les balcons de leurs maîtresses : déjà le son des guitares causait de l’inquiétude aux pères, et alarmait les maris jaloux : enfin il était près de minuit, lorsque don Cléofas Léandro Perez Zambullo, écolier d'Acala, sortit brusquement par une lucarne d'une maison où le fils indiscret de la déesse de Cythère (1) l'avait fait entrer. Il tâchait de conserver sa vie et son honneur, en s'efforçant d’échapper à trois ou quatre spadassins (2) qui le suivaient de près pour le tuer, ou pour lui faire épouser par force une dame avec laquelle ils venaient de le surprendre.
Quoique seul contre eux, il s'était défendu vaillamment, et il n'avait pris la fuite que parce qu'ils lui avaient enlevé son épée dans le combat. Ils le poursuivirent quelque temps sur les toits : mais il trompa leur poursuite à la faveur de l'obscurité. Il marcha vers une lumière qu'il aperçut de loin, et qui, toute faible qu'elle était lui servir de fanal (3) dans une conjoncture si périlleuse. Après avoir plus d'une fois couru risque de se rompre le col, il arriva près d'un grenier d'où sortaient les rayons de cette lumière, et il entra dedans par la fenêtre, aussi transporté de joie qu'un pilote qui voit heureusement surgir au port son vaisseau menacé du naufrage.
Il regarda d'abord de toutes parts ; et fort étonné de ne trouver personne dans ce galetas (4), qui lui parut un appartement assez singulier, il se mit à le considérer avec beaucoup d'attention. Il vit une lampe de cuivre attachée au plafond, des livres et des papiers en confusion sur une table, une sphère et des compas d'un côté, des fioles et des cadrans de l'autre. Ce qui lui fit juger qu'il demeurait au-dessous quelque astrologue (5) qui venait faire ses observations dans ce réduit.
Il rêvait au péril que son bonheur lui avait fait éviter, et délibérait en lui-même s’il demeurerait là jusqu'au lendemain, ou s'il prendrait un autre parti, quand il entendit pousser un long soupir auprès de lui. Il s'imagina d'abord que c'était quelque fantôme de son esprit agité, une illusion de la nuit ; c'est pourquoi, sans s'y arrêter, il continua ses réflexions.
Mais, ayant ouï soupirer pour la seconde fois, il ne douta plus que ce ne fût une chose réelle ; et bien qu’il ne vit personne dans la chambre, il ne laissa pas (6) de s’écrier : Qui diable soupire ici ? C'est moi, seigneur écolier, lui répondit aussitôt une voix qui avait quelque chose d'extraordinaire ; je suis depuis six mois dans une de ces fioles bouchées. Il loge en cette maison un savant astrologue, qui est magicien. C'est lui qui, par le pouvoir de son art, me tient enfermé dans cette étroite prison. Vous êtes donc un esprit ? dit don Cléofas, un peu troublé de la nouveauté de l'aventure. Je suis un démon, repartit la voix ; vous venez ici fort à propos pour me tirer d'esclavage. Je languis dans l'oisiveté, car je suis le diable de l'enfer le plus vif et le plus laborieux (7).
Quoique seul contre eux, il s'était défendu vaillamment, et il n'avait pris la fuite que parce qu'ils lui avaient enlevé son épée dans le combat. Ils le poursuivirent quelque temps sur les toits : mais il trompa leur poursuite à la faveur de l'obscurité. Il marcha vers une lumière qu'il aperçut de loin, et qui, toute faible qu'elle était lui servir de fanal (3) dans une conjoncture si périlleuse. Après avoir plus d'une fois couru risque de se rompre le col, il arriva près d'un grenier d'où sortaient les rayons de cette lumière, et il entra dedans par la fenêtre, aussi transporté de joie qu'un pilote qui voit heureusement surgir au port son vaisseau menacé du naufrage.
Il regarda d'abord de toutes parts ; et fort étonné de ne trouver personne dans ce galetas (4), qui lui parut un appartement assez singulier, il se mit à le considérer avec beaucoup d'attention. Il vit une lampe de cuivre attachée au plafond, des livres et des papiers en confusion sur une table, une sphère et des compas d'un côté, des fioles et des cadrans de l'autre. Ce qui lui fit juger qu'il demeurait au-dessous quelque astrologue (5) qui venait faire ses observations dans ce réduit.
Il rêvait au péril que son bonheur lui avait fait éviter, et délibérait en lui-même s’il demeurerait là jusqu'au lendemain, ou s'il prendrait un autre parti, quand il entendit pousser un long soupir auprès de lui. Il s'imagina d'abord que c'était quelque fantôme de son esprit agité, une illusion de la nuit ; c'est pourquoi, sans s'y arrêter, il continua ses réflexions.
Mais, ayant ouï soupirer pour la seconde fois, il ne douta plus que ce ne fût une chose réelle ; et bien qu’il ne vit personne dans la chambre, il ne laissa pas (6) de s’écrier : Qui diable soupire ici ? C'est moi, seigneur écolier, lui répondit aussitôt une voix qui avait quelque chose d'extraordinaire ; je suis depuis six mois dans une de ces fioles bouchées. Il loge en cette maison un savant astrologue, qui est magicien. C'est lui qui, par le pouvoir de son art, me tient enfermé dans cette étroite prison. Vous êtes donc un esprit ? dit don Cléofas, un peu troublé de la nouveauté de l'aventure. Je suis un démon, repartit la voix ; vous venez ici fort à propos pour me tirer d'esclavage. Je languis dans l'oisiveté, car je suis le diable de l'enfer le plus vif et le plus laborieux (7).
Alain-René Le Sage
Notes :
1 - Le fils indiscret de la déesse de Cythère : la déesse de Cythère est Vénus, son fils est Cupidon.
2 - Spadassins : hommes d'épées.
3 - Fanal : lanterne.
4 - Ce galetas : ce logement misérable, pauvre, sordide.
5 - Quelque astrologue : un magicien (voir le paragraphe suivant).
6 - Il ne laissa pas : il ne manqua pas.
7 - Laborieux : qui travaille beaucoup.
2 - Spadassins : hommes d'épées.
3 - Fanal : lanterne.
4 - Ce galetas : ce logement misérable, pauvre, sordide.
5 - Quelque astrologue : un magicien (voir le paragraphe suivant).
6 - Il ne laissa pas : il ne manqua pas.
7 - Laborieux : qui travaille beaucoup.
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